La visite du musée-mémorial de la maison des enfants d'Izieu a été une secousse. POurquoi donc ai-je voulu aller là, moi qui n'ai jamais envie de rien faire ? Toute seule, en plus. J'ai l'impression de me traîner une vieille culpabilité par rapport à la déportation des juifs pendant la guerre. Bon, je n'étais pas née. A priori, j'imagine que mes grands-parents n'ont dénoncé personne, même s'ils n'ont protégé personne non plus. Mes parents, probablement non plus. Alors quoi ? La responsabilité de chacun par rapport à tous ? Une propension naturelle à l'auto-flagellation ?
En tout cas, je suis partie à Izieu un après-midi torride. Il faut d'abord dire, et je crois que ça ajoute une note dramatique à tout ça, que le village est magnifique, que la campagne est belle comme dans roman, le Rhône est majestueux comme dans une mauvaise littérature et on se croirait en Provence, quand, comme le jour où j'y suis allée, les cigales sont déchaînées et que l'herbe est très sèche.
Ensuite, on "visite". J'emploie ce terme à dessein, de façon ironique. Car ce n'est pas une visite, comment pourrait-on "visiter" un lieu pareil ? Il y a une exposition temporaire, une exposition permanente, dans l'ancienne grange. Pour plus tard, la maison.
Des extraits du procès de Barbie sont projetés, nulle part ailleurs on ne voit ça. C'est déchirant, c'est terrible, ça n'a pas de nom, cette mère qui a perdu ses enfants, et qui crie "pourquoi, alors que je suis plus vieille que cet homme, dois-je encore vivre ?" et elle a passé sa vie à porter avec elle le poids de ses enfants morts. Barbie, et ces étranges rides qui lui dessinent un sourire, on croit qu'il se fout de tout, et de tout le monde, et qu'il sourit.
Et il faut ensuite visiter cette exposition. C'est là que j'ai été giflée. Là, dans le terrible annuaire établi par Serge Klarsfeld, le même jour que les enfants d'Izieu, ont été déportés de nombreux juifs nés à Bouzonville, à Vaudreching, à Saint Avold, à Niederaldorff. Pourquoi dans le même convoi, le même jour ? Pourquoi ces Lorrains étaient-ils à Drancy ? Pourquoi tous ensemble ? Et je me suis aperçue qu'ayant vécu si longtemps en Moselle, je n'ai jamais entendu parler des juifs déportés. Personne n'a jamais abordé devant moi le sujet de ceux-là. Avaient-ils fui la Moselle ? POurqui auraient-ils été déportés en même temps ? Les a-t-on arrêtés en Moselle, amenés à Drancy, pour les déporter ensuite ? Si j'ose dire, ça n'a pas de sens. Comme si quelque chose avait du sens quand on parle de ça.
J'ai donc "visité" la maison. Ca ressemble à une grande maison de vacances, faite pour le bonheur. Et la gaîté pourrait être là, très vite. Les couleurs sont belles, les dessins des enfants un peu violents, mais les lettres pleines de naïveté, le monde de l'enfance est là tout entier, avec les grandes fenêtres qui donnent sur la campagne si belle. On les imagine bien, là, l'été, se baignant dans le bassin, dévalant les collines, pour un peu on les entendrait rigoler.
Mais on entend le bruit des bottes, aussi.
Et on repart avec au coeur un chagrin que rien ne chasse, et on se demande pourquoi tous les enfants de France ne vont pas visiter, une fois dans leur vie, la maison des enfants d'Izieu.
10 août 2005
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